Témoignage

Dans le dernier bulletin, une maman « pétales » a écrit un témoignage, il illustre très bien l’idée de changer de lunettes développée dans le concept AIDAA de PETALES France (http://petales-france.fr/index.php/aidaa/).

Mon fils, adopté au Brésil à 2 mois, a maintenant 30 ans. Après des années chaotiques, de grands conflits, de violence parfois et de grandes souffrances de part et d’autre, il est apaisé et se construit véritablement. Même s’il galère encore souvent, il travaille, du mieux qu’il peut dans l’état de crise actuelle, et est arrivé à créer du lien autour de lui, il est très investi dans les milieux culturels, l’écologie et l’aide aux défavorisés (son côté sauveur).
Il a choisi de s’établir (définitivement ?) en Angleterre, parce qu’il y avait fait un stage professionnel et que la ville où il séjournait lui avait plu, mais peut-être aussi pour être à une « juste distance » de moi.
« Être parent, c’est aussi accompagner un sujet dans un processus d’éloignement et d’affirmation de soi ». (1)
Je dirais à ma façon : ne pas tout voir et ne pas tout sa- voir de lui est la condition essentielle pour lui permettre de s’affirmer et de s’émanciper.
Cependant, bien qu’il ne me demande rien, je sais très bien que du jour au lendemain, il peut basculer dans une grande précarité, ce qui n’est pas très rassurant, et bien qu’il y ait du mieux dans ses comportements, il continue à montrer des signes d’inadaptation socioaffective :
Les échanges, le plus souvent, très brefs, uniquement par communication WhatsApp, sont chaleureux et même joyeux, lorsque j’évoque des évènements ou in- formations assez courantes du quotidien ou que j’en- voie des photos. Si, par contre, je demande de ses nouvelles ou pose une question, je suis inévitablement
« balayée » de façon radicale. Rien ne doit le concerner directement et surtout ne pas toucher à une de ses failles ou difficultés. Toute remarque est alors ressentie comme intrusive, le mettant en danger, et bien que ce soit involontaire de ma part, appuyant sur sa mésestime.
L’obligeant à faire face à ses négligences, ses oublis, ses pertes, ses comportements, ses sautes d’humeur, j’ouvre encore là, un gouffre qu’il n’est pas encore capable de « border », de « gérer », et qui, aussitôt, l’oblige à rompre la communication. À moi d’en tenir compte, de lui faire confiance du mieux que je peux et de maintenir ce lien. Envoyer et recevoir quelques photos fait beaucoup de bien !

Un autre exemple : Ayant fait le choix de lui offrir des sous-vêtements chauds (dont il avait bien besoin), j’ai rajouté à mon cadeau une belle veste. Il s’est montré ravi et tout était à son goût. Il a porté la veste une jour- née… Le lendemain, il l’avait perdue, oubliée… dans un bar, ou chez un ami…. Bref, il ne l’avait plus ! Une fois de plus, je me suis dit, après ma déception affichée.
« Voilà encore présente la difficulté à accepter une marque d’estime, d’affection, d’amour… » Petit, il refusait de manger les gâteaux « maison », de maman donc, faits avec bien trop d’amour pour lui. Plus tard, il perdait un nombre incroyable de vêtements, de documents le concernant, à chaque fois des choses qu’il avait souhaitées, réclamées parfois, ou dont il pouvait être fier… Je me souviens ainsi du nombre insensé de porte- feuilles que j’ai dû lui acheter pour rassembler ses papiers et préserver son identité.
« Les mouvements affectueux pourtant désirés sont mal reçus et débouchent sur des phénomènes de brisure. Tout se passe comme si l’enfant blessé narcissiquement se révélait incapable de digérer les marques d’amour et d’estime. Il veut tout avoir, mais ne garde rien, et ceci s’étend non seulement aux personnes mais aussi aux objets qu’il crée et qu’il reçoit. » (1)
Avec les années, j’ai fait quelques progrès… Même si cela me chagrine, je ne me mets pas en colère et surtout je n’insiste pas pour qu’il retrouve « à tout prix » l’objet perdu. Mon chagrin, il le voit bien, je lui montre alors que je ne suis pas « atteinte » narcissiquement par cela.
Peu après, alors que je dois lui expédier des documents, il me demande (il ne me demandait plus rien) des stylos 4 couleurs, car, là où il est, il n’en trouve pas. La de- mande peut prêter à sourire, pourtant rien n’est anodin. Je me souviens, lorsqu’il était encore à la maison, ou de passage, il me prenait toujours ces stylos que j’aimais avoir pour mon travail. Ainsi le stylo 4 couleurs n’apparaît plus comme n’importe quel stylo, mais celui de la personne que je peux qualifier de « signifiante » pour lui.
Je rajoute donc à son colis 2 stylos, pas 3, ni 5… achetés à petit prix, en supermarché… ainsi, je réponds à sa de- mande, sans être dans le TROP, insupportable.

Cela m’amène à penser à nous tous, parents, à notre vigilance permanente à ces multiples précautions. De là aussi, ma pensée vers les thérapeutes, lorsqu’enfin l’enfant, le jeune accepte une rencontre et un suivi. Le thérapeute, je l’espère, aura la bonne attitude face à la personnalité abandonnique. Mais, nous, parents, com- ment nous comporter pour ne pas montrer notre grand désir (qui serait trop fort, et de ce fait pourrait tout annuler) et en même temps soutenir ce travail ?
J’ai trouvé, à ce sujet, une publication intéressante, (2) à laquelle je fais référence. Voici quelques notes qui résument ces écrits qui portent sur les manières dont les abandonniques créent et maintiennent ou non les liens.
• « L’Autre » est perçu comme ne pouvant que rompre les liens dans la relation.

• La phase de précontact est vécue comme une perte de contrôle, où se rejoue la question de la confiance et du risque de l’abandon.

• La demande affective est généralement très forte, mais, même si elle aboutit, elle est niée ou évitée ;

• Que ce soit en thérapie ou dans la vie quotidienne, le contact avec un abandonnique ressemble à une danse, où lorsque l’un des partenaires avance, l’autre recule.

• Le contact, lorsqu’il est établi, met à jour un lien, vécu comme dangereux, qu’il faut rompre. »

Ces façons particulières « d’entendre » l’autre amènent l’abandonnique à couper la relation. Michel Lemay nomme ces manifestations : « Les brisures ».
À nous parents, d’essayer d’être à la bonne place, étayer cette relation avec souplesse, encourager le jeune sans insister, être très à l’écoute, parfois il pourra avoir besoin d’être accompagné, à d’autres moments, il ne faudra même pas l’évoquer. Il s’agit de son histoire, il est important de lui signifier que nous savons com- bien cela peut être difficile pour lui, mais que cela lui appartient.

Une maman « pétales ».

(1) Michel Lemay : « Les conséquences de l’abandon sur le développement psychosocial de l’enfant et dans ses relations personnelles et sociales ».

(2) Dominique Albert : « Brisures et abandonnisme » Revue Gestalt n° 21- Séparations.

 

 

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