Témoignage

Une maman témoigne :
NE JAMAIS PERDRE PATIENCE, NE JAMAIS CESSER D’Y CROIRE
Il est arrivé il y a 24 ans, petit oiseau mouillé tombé du nid, 1 an, 6 kg, et de grands yeux qui lui mangeaient le visage. Il posait sur tout un regard curieux, attentif, vigilant. Il semblait jauger le monde et les personnes autour de lui sans savoir vraiment s’il pouvait faire confiance. J’avais l’impression d’un regard d’adulte dans un corps d’enfant.
Il a grandi sans confiance, ni dans les autres, ni en lui-même. Il cherchait à se fondre dans la masse, à ne pas se faire remarquer, malgré sa couleur de peau si différente. Il se disait « timide et méfiant ». Pas moyen de savoir ce qu’il pensait, ce qu’il aimait ou n’aimait pas.
À l’adolescence, il s’est encore plus renfermé à la maison, vivant dans sa tour d’ivoire et n’en descendant que contraint et forcé par les nécessités. De gros écouteurs sur les oreilles, avec une musique tonitruante pour mieux s’isoler. Mais en même temps, à l’extérieur, il semblait s’épanouir dans deux directions contradictoires : le sport et le scoutisme l’attiraient quoiqu’il en dise, mais aussi d’autres jeunes en perte de repères, en révolte contre une société qui les intègre mal, qui l’ont initié à l’alcool, à la drogue et à la délinquance.
Puis il a fermé définitivement sa porte. Il a quitté la maison, n’a plus donné signe de vie pendant deux longues années, si ce n’est par ses frères, jusqu’au soir où j’ai appris son arrestation. Aidée par des amis fidèles, je lui ai trouvé un avocat qui l’a rapidement fait sortir de prison. Je n’oublierai jamais ce premier sourire lumineux et ce merci qu’il m’a adressé.
Et il est retourné dans sa tour d’ivoire, vivant, survivant entre musique et jeux vidéo, sans travailler, sans aller à l’école. Il a continué à accorder sa confiance à d’autres jeunes qui ne la méritaient pas, qui l’exploitaient, qui le dupaient. Et finalement, 24 ans après son arrivée, un appel « Maman je veux te parler… tout de suite ».
En un mois, il a parlé plus que les 24 premières années. Enfin il fait confiance, il se livre, il reconnaît sa vulnérabilité, il demande de l’aide. Bien sûr il y a beaucoup à faire sur le plan matériel, pas de travail, pas de ressources, pas de statut social… mais le plus important nous le faisons ensemble, lors de longues soirées dans des petits restaurants. Nous parlons, il parle enfin, il se dit, il raconte ses peurs, ses hésitations, ses sentiments. Il n’est nulle part mais il est arrivé enfin là où il sait qu’il peut faire confiance, là où il sait qu’il ne sera pas exploité, dupé, trompé.
Même si la situation matérielle n’est pas réjouissante, mon cœur de mère se réjouit de voir enfin cet enfant, qui n’en est plus un, se tourner vers moi avec confiance, tendre sa main et ouvrir son cœur. Je lui ai demandé quand il a su qu’il pouvait me faire confiance ; quand j’ai été en prison et que tu as été là, m’a-t-il répondu. Mais il a fallu encore quatre années pour qu’il ose demander à me parler, quatre années pendant lesquelles j’ai essayé de garder le lien malgré tout, timidement pour ne pas me faire remballer, quatre années où j’ai essayé d’être là sans en faire trop.
Alors je veux transmettre le message que d’autres mères m’ont transmis, qui sont passées par là avant moi : ne désespérons jamais, ne cessons jamais d’y croire, gardons notre cœur ouvert à défaut de notre porte.
Bon courage à toutes et tous !